vendredi 4 janvier 2008

Présentation du projet

Pendant l'été 1958, suite aux événements de mai, est organisé par l'armée de terre française un stage à Arzew, non loin d'Oran : un stage interarme à destination des soldats français. Ce stage se déroule à l'école de guerre d'Arzew, le CIPCG (Centre d'Instruction Pacification et de Contre-Guérilla) du colonel Charles Lacheroy (nommé le 13 mai 1958 à l'Action psychologique) qui est l'une des deux de la lutte anti-guérilla en Algérie fondée en 1956, l'autre se trouvant à Philippeville.
Un cycle d'une centaine de conférences sera élaboré jusqu'en 1962.

Le colonel Lacheroy a "découvert" la guerre révolutionnaire en Indochine, en étudiant les tactiques de l'ennemi. Ayant lu la littérature de guerre de Mao (voir site biographique en fin d'article), il conceptualisa alors ce que pouvait être une "guerre révolutionnaire" ou "guerre psychologique", qui consiste moins à gagner des champs de batailles qu'à conquérir les esprits des masses. Pour Lacheroy, cette même guerre recommençait en Algérie depuis 1954.

Même si l'école du CIPCG est ordinairement à destination de futurs officiers, ces stages de 1958 sont à destination de Français (il y en aura 8000 environ qui y passeront) venus récemment de métropole, ne comprenant pas la guerre dans laquelle ils pénètrent : guerre qui n'est pas une guerre comme les autres.

Est-ce une guerre coloniale ?

Officiellement, l'état français refuse de la définir ainsi, car le territoire algérien, devenue français 30 ans avant la Savoie, 70 ans seulement après la Corse, est une création française effectuée à partir de l'ancien repaire des corsaires algérois conquis en 1830-48 contre le dey puis contre Abd El Kader, s'étant peu à peu étendu jusqu'aux profondeurs du Sahara (conquete terminée en 1892 seulement), où les Français ont trouvé en 1956 du pétrole en abondance. On parlera donc officiellement "d'opérations de maintien de l'ordre".

Pour les membres du parti communiste français, lisant tout événement historique à l'aune du marxisme, il s'agit d'une guerre impérialiste, colonialiste, la métropole et le territoire colonial jouant des succédanés de la bourgeoisie face au prolétariat, l'un exploitant l'autre, et l'autre devant s'opposer à la première pour créer les conditions d'une révolution communiste aboutissant à la société sans classe prophétisée au travers de "méthodes de réflexion scientifiques" par Karl Marx.

Pour l'armée et plus particulièrement le colonel Charles Lacheroy, cette guerre se situe dans la guerre Froide et se veut avant tout anti-communiste, nationale et diffusant la civilisation héritée des Lumières ("La France est le pays le plus civilisé du monde") et d'un catholicisme très conservateur.

Le stage organisé par l'armée française montre l'état d'esprit officiel de l'armée à une époque où elle a encore toute confiance en elle, victorieuse sur le terrain. Des officiers parlent à des soldats et leur donnent les motivations pour se battre. Ils décrivent les circonstances de la guerre, afin que chaque combattant puisse réagir de manière à l'emporter sur le terrain.

Cette guerre n'oppose donc pas simplement une armée à une autre : telle qu'elle est présentée, selon les théories de Lacheroy, il s'agit d'une guerre psychologique, une guerre révolutionnaire, dans le cadre de la guerre froide, celui du "containment" (doctrine Truman de mars 1947). Garder l'Algérie, pour les officiers, ce n'est point tant garder des terres au sein de l'empire français que d'empêcher une révolution marxiste meurtrière de l'emporter. Il faut dire que parmi les instructeurs, beaucoup ont pu vivre "in vivo" les techniques de lavage de cerveau marxistes en Indochine, d'où ils reviennent. Mais au lendemain de l'affaire de Suez, on ne tombe pas pour autant dans les bras des Etats-Unis suspectés également de dérive totalitaire : pour Lacheroy, les EU ne forment plus une démocratie car ils manipulent les masses par l'image ou le slogan autant que l'URSS ; et la France habituée à réfléchir ne partage pas, ne peut partager, ces valeurs.

Les feuillets que nous avons retrouvés ne mentionnent pas, généralement, le nom des auteurs. Il s'agit pourtant donc, selon des témoignages oraux que nous avons obtenus, d'officiers s'étant déjà confrontés à la "guerre révolutionnaire" face à des marxistes, notamment en Indochine. Certains ont ainsi pu y analyser les méthodes de lavage de cerveau dans des camps où le taux de survie des prisonniers (toutes choses égales par ailleurs) était plus faible que dans les camps de concentration nazis.

C'est le mérite de Marie Monique Robin , prix Albert-Londres, d'avoir montré dans son étude magistrale (voir biblio) que bien plus tard, quand les Américains s'enliseront dans la guerre du Vietnam, confrontés à leur tour à la "guerre révolutionnaire" embrigadant les populations, ils viendront demander l'expérience et l'analyse des officiers de l'armée française et sur ce qu'ils ont vécu pendant la guerre d'Algérie. Mais bien plus encore, des officiers formés à cette école deviendront des conseillers des régimes dictatoriaux d'Amérique latine, en employant les méthodes de guerre révolutionnaire prises sur leurs ennemis. A la nuance près que si, comme Marie-Monique Robin le montre, des catholiques intégristes furent de cette partie ténébreuse au pays des Droits de l'Homme, la "Cité catholique" de Jean Ousset en tant que telle (voir ses articles dans la revue "Verbe") préconisait un refus total d'employer les méthodes de "l'ennemi marxiste", sous peine de ressembler moralement à celui que l'on combat : autant dire un crime impardonnable... Pour autant, "Verbe" préconisera l'emploi de la torture...

L'histoire des guerres coloniales (ou de décolonisation) reste trop souvent enseignée comme telle ; or il s'agit de comprendre (et les livres d'Hélie de Saint Marc ont pu permettre de comprendre ces enjeux) que dans les années 1950-60, au moment de la guerre de Corée, de Suez, ces guerres présentent également bien d'autres enjeux, à savoir la division du monde en deux blocs ; en 1947, le PCF a tenté plusieurs sabotages en France même pour prendre le pouvoir ; les ministres communistes ont été chassés du gouvernement Ramadier ; des "porteurs de valise" marxistes français aident les rebelles algériens en déposant des bombes tuant aveuglément des civils, après parfois avoir parfois torturé des Français en Indochine ; plusieurs journaux prennent fait et cause contre l"armée française accusée (à juste titre, sous couvert du gouvernement Mollet pendant la bataille d'Alger en 1957) de torture ; cependant, résolument, l'armée française se place dans le camp du "monde libre", même si l'attitude des Etats-Unis ne reste pas sans critique, comme par exemple à l'époque de l'expédition de Suez (1956).
Maintenir son influence dans des régions menacées par le marxisme, et ainsi les protéger, sans pour autant faire le jeu des Etats-Unis, voilà l'attitude alors présentée officiellement au sein de l'armée française.

L'ensemble de ces conférences a duré une semaine. Leur transcription révèle un document historique de premier ordre et de première main. Nous ne savons pas s'il en existe aujourd'hui d'autres exemplaires publiés, nous n'avons d'ailleurs pas cherché. Mais leur portée nous incite à le publier sur notre blog, en espérant qu'ils seront lus et étudiés comme sources pour ce "passé qui ne passe pas" : la guerre d'Algérie. Ce faisant, nous découvrirons ensemble les techniques totalitaires de manipulation des masses, ou des individus, techniques dont la plupart des principes, non respectueux des idéaux initiaux des personnes, mais entendent leur faire accepter ce qu'ils refusaient, sont aujourd'hui repris par les grands publicitaires et jusqu'aux conseillers en communications redoutables de l'Elysée, sans désormais choquer quiconque. Bien plus qu'un témoignage du passé, plusieurs de ces conférences peuvent servir d'analyse critique des méthodes de communication actuelles.

Wikilien : http://fr.wikipedia.org/wiki/CIPCG
Vie du fondateur de la théorie de la guerre révolutionnaire, le colonel Lacheroy :
http://nice.algerianiste.free.fr/pages/portraits/lacheroy.html

Interview de MM Robin : http://offensive.samizdat.net/SiteFlash/FrontOffice/ImprimeArticle.php?Identifiant=111

PS. Pour faire pendant à certains commentaires du film Indigènes, nous invitons nos lecteurs à se rendre sur le site de l'INA, et pour les actualités, à la date du 9 mars 1945, ils trouveront l'hommage de la France aux troupes des indigènes, selon leur grand mérite (après le reportage sur les reliques de Thérèse de Lisieux "protectrice de la nation", 1er quart de l'émission).

BIBLIOGRAPHIE :
DELPAL, Olivier. La formation des officiers à la guerre psychologique en Algérie : l'exemple du Centre d'Instruction et de Préparation à la Contre-Guérilla (CIPCG) d'Arzew, 61 f. Mém. de fin d'études ESM : Coëtquidan, 1996. dir. : O. Forcade, F. Guelton. (B. des Etudes).
Marie-Monique ROBIN, Escadrons de la mort, l'école française, La Déocuverte, 2004

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